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- Disparitions
Le réalisateur d'"Une étrange affaire" et d'épisodes de "Maigret" pour la télévision a toute sa vie pratiqué un cinéma sensible, à son image.
ParJean-Luc Douin
Temps de Lecture 3 min.
Prix Louis-Delluc en 1981 pour Une étrange affaire, le cinéaste Pierre Granier-Deferre est mort vendredi 16 novembre, à l'âge de 80 ans. Né en 1927 à Paris, il avait rêvé d'être architecte, chef d'orchestre ou reporter. Victime à 18 ans d'une grave péritonite, et alarmé par la médecine qui lui prédit une éternelle fragilité, il revoit ses prétentions à la baisse, suit des cours de cinéma et opte pour la mise en scène. Il devient l'assistant de Marcel Carné, d'André Berthomieu, de Jean-Paul Le Chanois, avant de se mettre à signer des films à l'époque de la Nouvelle Vague.
Mais le cinéma de Pierre Granier-Deferre était à l'opposé de celui que prônaient les critiques des Cahiers du cinéma : classique, sans surprise, à l'image même de ce qu'était l'homme, puritain, protestant, artisan modeste et sensible oeuvrant pour le plaisir du public, détestant l'exhibitionnisme et les films où les idées du metteur en scène sont trop évidentes.
On lui a reproché d'être l'homme des adaptations. Pierre Granier-Deferre s'est effectivement souvent retranché derrière des romans, ceux de plumes de l'Académie française (Les Aventures de Salavin, d'après Confession de minuit, de Georges Duhamel en 1963, Le Grand Dadais, d'après Bertrand Poirot-Delpech en 1968, La Race des seigneurs,d'après Creezy, de Félicien Marceau en 1974), ou ceux de Georges Simenon (Le Chat en 1971, La Veuve Couderc en 1972, Le Train en 1973, L'Etoile du Nord en 1982), de René Fallet (Paris au mois d'août, 1965) ou de Drieu La Rochelle (Une femme à sa fenêtre, 1977).
Le film qui lui avait valu le prix Delluc et le César du meilleur réalisateur, à 54 ans, Une étrange affaire, histoire d'un patron qui se comporte en tyran et vampirise ses employés, était inspiré par un roman de Jean-Marc Roberts, comme le sera L'Ami de Vincent (1983).
Il expliquait cette prudence par un manque de confiance. "J'écris des sujets moi-même, comme tout le monde, mais je suis incapable de les défendre,disait-il. Je ne suis pas un bagarreur. Et j'ai découvert qu'en m'abritant derrière une adaptation, je pouvais glisser tout ce que j'aurais mis dans les sujets originaux."
Il y a en effet un fil conducteur, des thèmes chers, dans la filmographie de Pierre Granier-Deferre, qu'il ne tenait pas à voir dénicher. S'il s'arrangeait, par pudeur, pour que les deux choses qui le concernent le plus, la maladie et les enfants, ne soient guère évoquées, il ne pouvait s'empêcher de manifester son attachement pour les paumés, son goût pour la nostalgie ("le bonheur, c'était hier"), son attirance pour le déclin (Le Fils est l'histoire d'un homme qui s'aperçoit qu'il n'a pas pris le bon tournant). Il aimait les personnages qui vivent une crise intérieure et se dévitalisent, comme il l'illustra dans ce qu'il appelait sa "trilogie du regret" : Le Chat, La Veuve Couderc et Le Fils.
Cette humilité explique aussi sa propension à se cacher derrière des vedettes. Jean Gabin, Simone Signoret, Alain Delon, Lino Ventura, Yves Montand, Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli, Philippe Noiret furent de ceux sur les épaules desquels il faisait reposer les responsabilités.
Pierre Granier-Deferre admettait avoir passé sa vie à faire des concessions, et d'abord à lui-même. Parmi la trentaine de films qu'il réalisa, presque tous des succès, il se disait fier d'à peine dix.
Il acceptait les critiques, sauf quand on lui reprocha d'avoir osé toucher à Drieu La Rochelle dans Une femme à sa fenêtre avec la complicité du scénariste Jorge Semprun : "A part dans Adieu poulet (1976), qui dénonçait les magouilles des notables d'une ville de province, c'est la seule fois où je me suis mêlé de politique. J'avais pris le parti de l'anticommunisme stalinien. Or tout le monde n'a vu que cela, et personne n'a parlé de mon travail de reconstitution, ni du magnifique personnage de Romy Schneider !"
Auteur aussi de La Horse (1970), dialogué par Pascal Jardin et interprété par Gabin ("Propriétaire : pour moi, monsieur, c'est un métier !"), cet homme attachant et pessimiste, parfois mésestimé par la critique, était sans amertume. "Je me suis toujours dit que si j'avais eu un grand succès critique au début de ma carrière, j'aurais fait un parcours formidable,a-t-il confié. Il est évident que chaque fois que je lis une critique qui me méprise, je me recroqueville un peu plus. Mais je ne désespère pas."
Jean-Luc Douin
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